Minuscule et venu d'Asie

Publié le 30/04/2020


Il est des pandémies heureuses, celle causée par le haïku par exemple. Ce micro-organisme poétique est né au Japon par scissiparité du tanka, au XVIe siècle. Il a d’abord prospéré dans l'empire du Soleil Levant, en particulier avec Basho, que la poésie affligea d’une fraîcheur d'enfant jusqu’à la fin de ses jours.


Veille de pleine lune
je suis encore
un enfant de trente neuf ans
*
Réveille-toi, réveille-toi
Je veux devenir ton ami
Papillon endormi.


Basho, L'intégrale des Haïkus, Points Seuil. Traduction Makoto Kemmotu et Dominique Chipot


Au début du XXe siècle, le haïku (ou haïkaï) s’est propagé, moyennant quelques mutations, dans les lettres françaises infestant les pages des poètes. C’est Paul-Louis Couchoud qui, revenant du Japon en 1905, fut le patient zéro et contamina la République des lettres avec son livre Au fil de l'eau (réédition Mille et une nuits) :


L'azur triomphal
Transperce même
Le hêtre noir


Ce premier "cluster" aurait pu être rapidement circonscrit – le livre avait été tiré à 30 exemplaires – mais c'était sans compter sur Paul Claudel qui, lui aussi, attrapa le virus du haïku au Japon et le ramena dans sa valise diplomatique :


Chut !
si nous faisons du bruit
le temps va recommencer
*
Nous fermons les yeux
et la rose dit
c'est moi


Cent phrases pour éventails, Gallimard.


Et comme le jeune Paul Eluard ne respecta pas les règles de distanciation littéraire, le mal se répandit.


Le vent
Hésitant
Roule une cigarette d’air.


Paul Eluard, Pour vivre ici, onze haïkaï, Oeuvres complètes, tome I. Gallimard.


On ne compte plus ceux qui ensuite succombèrent, chaque recueil de haïkus publié inoculant le virus à ses lecteurs. Citons parmi les victimes Louis Calaferte :


Quelque part
dans le silence
tombe une pomme
*
Velouté
du soleil chaud
sur la peau


Haïkaï du jardin, L’arpenteur.


ou encore Claude Esteban :


Dans la mémoire des autres
nos blessures
guérissent toujours.
*
Il faut conclure
dix-sept syllabes, c'est
trop, ou pas assez.


Morceaux de ciel, presque rien, Gallimard.


On a cru, voici quelques années, parvenir à éradiquer le mal grâce au tweet poétique. Mais ses 140 caractères n’eurent pas le dernier mot face à l’ADN des 17 chromosomes syllabiques du haïku. L’épidémie a repris de plus belle. Les femmes ne sont pas épargnées, telle Danièle Faugeras, prise d’une telle frénésie « haïkesque » qu’elle en écrivit un par jour.


fenêtre ouverte -
à lui seul un chant d’oiseau
peut remplir la nuit
*
comment ce matin
distinguer gouttes de feuilles
et bourgeons de pluie ?


A chaque jour suffit son poème, éditions Pippa.


Mais il est temps pour moi de faire mon coming out. Vous l’avez déjà compris, je suis positif au haïku, régulièrement affligé d’accès de cette fièvre poétique autant qu’asiatique. Ainsi j’ai résilié mon assurance contre le vol, me contentant d'un haïku. Grâce à lui, j'ai compris que jamais on ne pourrait voler ce qui, pour moi, est essentiel. Un essentiel que, de toute façon, je sais ne pas pouvoir posséder :


Le voleur m’a tout dérobé
sauf la lune
qui était à ma fenêtre


Ryokan, Anthologie de la poésie japonaise, Gallimard. Traduction G. Renonceau.


Pas de doute, je suis atteint. Gravement contaminé de longue date et toujours pas immunisé. Mais c’est une bonne maladie. Le haïku a tout de l’antidote, il est une panacée contre ce qui nous contrarie. Je viens d'ailleurs d’en écrire un pour sourire du bruit atroce qui, depuis ce matin, s'acharne à entamer ma sérénité.


La tronçonneuse enrage
de ne pas braire
aussi bien que l’âne.


François Graveline