Retour à l'école

Publié le 12/05/2020


L'école est souvent aujourd'hui le lieu où l'on rencontre pour la première fois la poésie. En réalité, la poésie, chaque enfant l'a déjà en soi au départ. Mais elle se perd. Et très vite.


Quand on est enfant, tous les mots
ont des majuscules, toutes les choses
sont des êtres,
et de façon magique,
rien n’est oublié,
puisque tout a lieu.


Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval, L’Escampette éditions..

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Plutôt que posséder une somme de connaissance, d'additionner, de choisir le toujours plus, le poète suit l'impossible qui lui tient à coeur et l'élève au carré de lui-même. Il vise au-delà :


Le
cartable est petit,
ailleurs tu ranges l’impossible.
A l’aller comme au retour,
le peu de poids à porter
te donne un air vainqueur.
On voit cependant
que la besace des rêves tient dans le poing
toujours serré.
*
Suis
maintenant ton chemin,
mais fais-le
comme on honore un rendez-vous,

Va, comme on répond à un salut :
te retourner, tu as raison
ferait le monde plus sombre.


Patricia Castex-Menier, Bouge tranquille, Cheyne Editeur.

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L'école des poètes est buissonnière et seulement buissonnière. Il n'existe pas de formation "qualifiante et diplômante" pour devenir poète. La poésie ne s'apprend pas, elle se cherche, elle se vit :


Conseils à Margot

Regarde, écoute, tâte. Éprouve la matière heureuse,
l’infini des corps, les voix, les pierres, la lumière lourde
et sourde des pierres, la cornaline sang-figé, l’eau volubile,
la grâce des choses vives.

Puis songe en silence, longtemps, jusqu’à heurter l’os
muet du monde. Parle, alors ; essaie ; place un mot, comme
on dit ; espère qu’il résiste au vent.


Denis Rigal, La joie peut-être, Le Bruit du temps.

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Écrire de la poésie, c'est ne pas écrire comme il faut, comme il faudrait, comme on s'y attend. Comme on l'apprend à l'école. Ce n'est pas non plus écrire n'importe quoi ni n'importe comment. Ce n'est ni le "bien écrire" ni écrire joli. C'est écrire ce qui n'est pas écrit, déjouer le destin. La poésie est transgression, subversion heureuse :


(...) Le poème est la pomme qu'Ève (la poésie) offrit, un jour, à Adam. (Pour renaître éternellement de lui.)


Edmond Jabès, Le Seuil, le Sable, Gallimard.