Pas d’embellie en Italie

Mi-juin déjà. Le temps passe trop vite. D’où l’idée d’aller directement de Zante à Reggio de Calabre en coupant la mer Ionienne, soit 250 milles qui prennent presque l’allure d’une traversée océanique pour les experts du cabotage que nous sommes devenus. Devant le musoirmusoir : pointe extrême d'une jetée, généralement arrondie. de la jetée se lève un surprenant souffle de sud-est, si bien que nous envoyons les voiles en ciseau avec le tangontangon : espar qui amure le spinnaker ou le génois d'un voilier., mais cette félicité ne saurait durer et deux heures plus tard, j’enfonce du pouce un certain bouton "start"… Le vacarme du moteur prend fin quand survient un petit vent debout qui nous fait dériver devant les côtes de Céphalonie. Moteur encore au moment où il cesse, puis une nuit de prèsprès : allure où le voilier avance au plus près du vent. serré avec du sud-ouest expirant, bref, au terme des vingt-quatre premières heures, nous n’avons parcouru qu’une cinquantaine de milles et les îles grecques sont toujours en vue. Nous n’en pouvons plus de cette école de la patience et du fatalisme. Ce n’est pourtant qu’un début, puisque le vent contraire se renforce en prélude à un méchant coup de sirocco : secoués comme dans une machine à laver, nous décidons d’abattre et de laisser porter vers Crotone. Dans cette mer où, en juin, il y a neuf chances sur dix d’avoir des vents de nord -en dehors des calmes, bien entendu-, c’est vraiment jouer de malchance.

Déjà erratique, la navigation devient totalement pifométrique, basée sur la direction des traînées des avions et sur le cap des cargos… Et ça marche ! Nous venons de passer dans le sillage d’un super-tanker libérien en train de dégazer quand le cap Colonne apparaît à peu près où nous l’attendons. À peine le temps de se réjouir que nous sommes écrasés sous les attaques du sirocco, affalant en hâte le yankeeyankee : voile d'avant de dimension intermédiaire entre le foc et le génois., prenant deux risris : dispositif permettant de réduire la surface d'une voile. dans la grand-voilegrand-voile : voile principale sur un voilier à mât unique ou plus grande voile porté par le plus grand mât sur un voiliers à mâts multiples. et un autre dans l’artimonartimon : mât le plus à l'arrière d'un voilier ou voile triangulaire portée sur ce mât.. Trempés, accomplissant manœuvre sur manœuvre pour adapter la voilure aux variations du vent, nous gagnons Crotone peu avant la nuit. Deux vieux à l’affût prennent les amarres, y font des nœuds indéfaisables et exigent de l’argent. Ou alors des cigarettes. La réponse fuse de la bouche de Mireille : -Niente !
C’est vrai, bon sang, nous n’avons rien demandé. Quel contraste avec la Grèce ! Quoiqu’il en soit, nous sommes mieux ici qu’au large, où le vent, basculé au nord, souffle andante furioso.

Au saut de la couchette, bonne surprise, Dum’s est venu s’amarrer tout près pendant la nuit : partis du nord de Corfou, Luc et Marie-Françoise visaient Reggio de Calabre, comme nous, et ils se sont pareillement déroutés sur Crotone quand le sirocco les a bousculés, faisant leur profit du proverbe italien bien connu : "Le soldat qui s'enfuit du combat est un soldat qui peut resservir." Après un jour d’attente, à nouveau compagnons d’infortune, nous faisons cap au sud au prèsprès : allure où le voilier avance au plus près du vent. serré, par tout petit temps, soit un jour et une nuit à se traîner, en croisant des armadas de voiliers et de grosses vedettes qui font route vers l’est. Il était temps de quitter la Grèce ! Au crépuscule, à portée du port de Capo dell’Armi, le bassin inoccupé du projet de complexe chimique déjà repéré à l’aller, et peu désireux de remonter le détroit de Messine de nuit au louvoyagelouvoyage : action de remonter le vent en tirant des bords (en zigzag)., nous trouvons refuge dans ce décor glaçant et inexpugnable, partagé avec deux autres initiés. Il n’y aura aucun mieux jusqu’à Reggio, finalement atteint à la force du diesel face à un pénible vent de nord, passé au sud-ouest aussitôt après notre arrivée. Il y a de quoi s’énerver contre Éole !

Le port est plein comme un œuf, bien vivant, et le soleil est accablant. Tout le contraire de notre dernier passage. Ce qui ne change pas, c’est la présence amicale de Claudio et de son assistance technique, à quoi s’ajoutent de bonnes rencontres, en particulier Jean et Sylvie, sur Louisiane, minuscule cotrecotre : voilier à un seul mât et deux voiles d'avant. immatriculé à Bordeaux, et surtout Pierre et Muriel sur Kraken, petit bateau suisse en acier. On rit vraiment beaucoup avec ces Valaisans qui sont de vieux copains de Luc et Marie-Françoise et qui connaissent la plupart de nos amis suisses bourlingueurs ! Ce petit monde sur le chemin du retour patiente devant les caprices de la météo, coups de sirocco, flux de nord et calmes de mauvais augure. Ça suffit maintenant ! Sur Chercha-Païs, Dum’s et Kraken, on décide un jour de partir malgré tout, en direction de la Sicile. On fera avec ce qu’on trouvera. Et la Méditerranée aussi, ça suffit ! Le fourbi en hiver, d’accord, mais à la belle saison ce n’est pas plaisant non plus : tout est très laborieux à moins d’avoir un gros moteur, et encore, il ne faudrait pas s’arrêter ailleurs que dans les marinas.


Kraken de Pierre et Muriel.

Le port de Milazzo avec deux feluches de pêche à l’espadon.

Le lendemain, départ au moteur vers Vulcano, dans l’archipel des Éoliennes, avec en bonus, à la fin, une heure de grand largue dans un gentil vent d’est. Tout va bien ? Mais non, ce vent rend le mouillage intenable et deux heures après, le temps d’une baignade, le trio appareille pour Lipari. Dum’s et Kraken arrivent à s’infiltrer dans ce port bondé, quant à nous, échaudés par les problèmes de l’hiver passé, nous restons au mouillage, où nous roulons comme des fous en regardant descendre le baromètre. Comme dit Pierre : « On a un progrâaaame formidâaaable... » La météo annonçant un fort sirocco, au crépuscule, la mort dans l’âme, nous prenons une place non-euclidienne dans le port. Les bateaux sont à couple par douze, plaisanciers et pêcheurs mêlés, sans compter cinq feluche de pêche à l’espadon, certainement bien pratiques à manœuvrer dans un tel port, avec leur bout-dehorsbout-dehors : espar établi au devant de l'étrave. de trente-cinq mètres ! Un mot pour expliquer ces embarcations extraordinaires : perché dans son poste de conduite, le barreur repère les espadons qui dorment en surface, selon leur habitude, et place le harponneur à portée de lancer, loin en avant du bruit du moteur qui ferait décamper sa proie.


Une feluca, avec son bout-dehorsbout-dehors : espar établi au devant de l'étrave. et son poste de pilotage
perché à plus de trente mètres de hauteur.

Pas de vent, une chaleur de fournaise, c’est sûr, le sirocco n’est pas loin et l’on s’active de partout en allant poser des ancres, en tendant des amarres et en multipliant les défenses. Parmi tous ces équipages, un couple de Danois provoque l’hilarité générale en sortant de la baille à mouillage leur unique ancre, encore dans son emballage plastique ; comme le mode d’emploi n’est pas joint, ils demandent à leurs voisins comment s’en servir : renseignements pris, ils sont descendus jusqu’ici depuis leur pays, de port en marina, en ne se servant que des amarres… En fait de gros temps, le vent se contente de souffler à force 4, mais de l’ouest, une orientation contre laquelle personne ne s’était prémuni et, comme cet hiver, une dizaine de bateaux s’appuient sur le nôtre.

Le clan tricolore a reçu le renfort de l’Eléphant vert, avec Olivier et Sylvie, connus au Pirée. Un souper en commun nous réunit tous chez eux : j’amène le plat de résistance, les sempiternelles patates au lard, sans savoir que nous sommes chez un cuistot de métier. L’entrée et le dessert préparés par Olivier ne me donnent pas envie de faire le malin et Pierre, impayable animateur de la soirée, ne se prive pas d’enfoncer un peu plus le clou. Il est vraiment dommage que Kraken ne continue pas sur la même route que nous. Au matin, fini de rire, il faut démêler les nœuds et relever de lourds mouillages en annexeannexe : petite embarcation pour assurer la liaison entre un voilier et la terre. après avoir dépêtrées chaînes et ancres : c’est bien d’avoir à bord des bouteilles et un compresseur de plongée, mais quand tant de monde fait appel à mes services, c’est épuisant !

Nous quittons Lipari à la voile, en même temps que Dum’s, et un demi-mille plus loin, nos moteurs ronflent… Si c’est calme du côté du vent, la houle est bien présente et nous empêche de mouiller à Filicudi ; à l’approche d’Alicudi, la dernière des îles Éoliennes vers l’ouest, s’abat un violent grain tandis qu’un orage envahit le ciel. Nous ne mouillerons pas non plus à Alicudi. En revanche, sur la route de la Sardaigne, pas question de manquer Ustica, l’une des îles italiennes les plus isolées, dont je rêve depuis que tout jeune je l’ai dénichée sur un atlas.


La place principale d’Ustica et l’un des artistes du cru en pleine création.

À une centaine de milles de Lipari, Ustica propose un petit port où Dum’s et nous sommes les seuls voiliers, au bas d’un bourg bâti en amphithéâtre. Ce n’est pas très beau -la Grèce nous a rendus difficiles-, mais l’ambiance est agréable, avec de la verdure, des fleurs à profusion, des plantes grasses et des escaliers, cadre parcouru par un grand nombre de jeunes gens bronzés et musclés venus à l’occasion d’un championnat de chasse sous-marine. (C’est autour de cette île que Le Grand Bleu sera tourné quelques années plus tard). La cité serait décevante si des dizaines d’artistes n’y avaient donné libre cours à leur talent. Leurs peintures et leurs céramiques sont partout, y compris sur les façades les plus austères, banques ou pharmacie, dans tous les genres et tous les styles, c’est assez féerique. L’église elle-même, une mocheté, est transfigurée par de grandes mosaïques naïves. Certains se sont aussi exprimés au travers de leurs poèmes ou ont retranscrit Rimbaud au détour d’une ruelle.



Deux perspectives des murs décorés d’Ustica.

À l’écart du bourg, cette petite île volcanique au relief point trop escarpé est agréable également, avec des bois d’eucalyptus, des cultures souvent clôturées de cactus, un petit phare et des maisons aux tuiles ocres. Sur les sommets, une forteresse récente et un château sarrasin en partie taillé dans la masse ont pour escorte de nombreuses citernes.


Le petit port d’Ustica vu du château sarrasin.

Je jette un voile pudique sur notre traversée vers la Sardaigne, pour ne pas épuiser le lecteur avec une interminable litanie d’éléments contraires, qui perturbent notre estimeestime : estimation de la position d'un navire d'après sa vitesse et son cap, en tenant compte de la dérive due aux courants. au point que je dois faire prendre l’air au sextant. Nous visons Marina Piccola di Poetto, un petit port voisin de Cagliari où Luc et Marie-Françoise ont prévu de récupérer le frère de cette dernière ; arrivés sur place un peu avant minuit, nous avons beau chercher les feux d’entrée du port, nous ne voyons que ceux des voitures. Enfin, entrapercevant des mâts derrière une jetée, nous la suivons prudemment au projecteur jusqu’à l’entrée. Bravo les Italiens ! Le luxe d’une place à quai fait qu’on leur accorde l’absolution pour ces feux éteints. Au matin, Jean-Michel, le frère, embarque chez nous, car Dum’s est encore en route, faisant le bonheur de Cécile, qui a pour lui les yeux de Chimène. En attendant nos amis, la planche à voile reprend du service car le port et le vent s’y prêtent à merveille et à l’heure du café, dans une envolée magistrale, je vais à la rencontre de Dum’s, en retard à cause de leur inverseur à l’agonie. À peine ont-ils rempli les papiers à la capitainerie qu’il nous faut décamper en voltige, par suite de l’arrivée soudaine d’une dépression d’est -a priori impossible par ici- pour encore une fois s’abriter à l’extérieur du port, de l’autre côté du brise-lame. Nous en partirons vers un bon mouillage proche, derrière la pointe Teulada. De là, le lendemain, nous faisons un saut de puce vers Carloforte, aux aurores, pour passer avant l’ouverture d’un champ de tir marin… Malgré deux journées à changer de place et de quai en fonction des houles entrant au port, l’île de Carloforte et la ville homonyme, curieusement oubliées des touristes, nous laisseront le meilleur souvenir. L’architecture est bien italienne et l’ambiance itou, avec les balcons chargés de linge formant tunnel au-dessus des ruelles, les couleurs douces et les odeurs fortes, les bancs publics surpeuplés sous les arbres, les intérieurs ouverts sur la rue, les apostrophes tonitruantes d’une fenêtre à l’autre, la quiétude totale à l’heure de la sieste et des gens charmants qui poussent la sollicitude jusqu’à faire ouvrir pour nous une boutique fermée. Plaisir supplémentaire, le plan d’eau impeccablement lisse et le sirocco inépuisable font que la planche à voile, passant de mains en mains, file d’une jetée à l’autre des heures durant.

Carloforte, situé "au coin en bas à gauche" de la Sardaigne, marque hélas les adieux avec Luc et Marie-Françoise, qui partent plein ouest, vers Gibraltar et La Rochelle, soit presque deux mille milles, pour lesquels ils ne disposent plus que de deux mois, tandis que nous continuons vers le nord. Sur Dum’s, nous savourons une dernière soirée commune autour d’une montagne de pasta fresca con parmigiano, nous amusant discrètement de voir Cécile toujours fascinée par Jean-Michel. Le lendemain, placé sous le signe de la morosité, l’est doublement au fil des heures passées à se traîner dans le brouillard, sans rien voir de la Sardaigne. Une turbine de pompe à eau à changer dans le moteur nous empêche d’atteindre l’abri prévu avant la nuit : sondeur en panne, mouillage inconnu, nous avançons à tâtons dans la purée de pois avant de laisser filer l’ancre pour la nuit. Au terme d’une nuit clapoteuse, Chercha-Païs se révèle être assez "au large" dans le golfe d’Oristano et la dégradation du temps nous pousse à trouver un meilleur abri plus près de la côte, devant les ruines de la cité punique de Tharros. Cette ville antique ne rivalise pas avec Delos, mais elle se distingue par des installations d’adduction d’eau en basalte fort bien conservées au milieu de restes de constructions en tuf jaune.


Au mouillage devant la cité antique de Tharros.

Plus loin se trouve le pittoresque village de San Giovanni di Sinis, dont les maisons de pêcheurs, posées à même le sable, sont faites de joncs et de roseaux ; nous y déambulons tandis que la mer brise sauvagement de l’autre côté de l’étroite péninsule qui nous protège.


Le village de pêcheurs de San Giovanni di Sinis.

La météo nous coince deux jours dans le golfe d’Oristano, puis un créneau maniable d’une dizaine d’heures est annoncé et nous faisons route au moteur dans la mer très creuse laissée par le coup de vent. La deuxième moitié du trajet est parcourue à la voile, lentement, en se faisant brasser comme des malheureux jusqu’à Bosa Marina, un port de pêcheurs placé dans l’embouchure d’une rivière. L’entrée, large d’une vingtaine de mètres, est une réduction de l’estuaire de l’Adour pendant les tempêtes d’équinoxe et il n’est pas question de s’y engager, heureusement, une petite île, reliée à la terre par une solide jetée, ménage un bon abri au sud du bourg. Bosa Marina est un endroit agréable où les Allemands ne se sont pas abattus comme des nuées de sauterelles : c’est couleur locale, avec juste ce qu’il faut de visiteurs, bien propre, sans mazout ni discothèque, et tout le monde est affable. De là, le grignotage vers le nord continue en engloutissant les litres de gas-oil et en escaladant des creux de plusieurs mètres jusqu’à Alghero, grande ville touristique, toutefois dans des proportions acceptables, avec un vieux quartier ceint de murailles moyenâgeuses, au pied desquelles nous tournons nos amarres. Le train-train de ce genre d’escale est bien rôdé : plage pour Cécile, provisions et carburant -avec nos dernières lires- et rencontres de bateaux, cette fois-ci avec un Clermontois, Jean-Louis de Kalou, tout heureux de faire notre connaissance car il avait suivi la construction de Chercha-Païs dans La Montagne. Pour la première fois, Boulgour, qui n’est pas un chat très futé, est tombé à l’eau, au port, en notre absence, et il a eu la chance de se faire repêcher. Une bonne leçon qu’il n’oubliera pas.

Suit un trajet à la voile de moins de dix milles pour atteindre l’excellent abri naturel de Porto Conte, où nous laissons tomber l’ancre. Le rituel de cette remontée se confirme avec un départ matinal au moteur suivi d’une lente progression à la voile, maintenant le long d’une côte grandiose et pratiquement sauvage. Sous tangontangon : espar qui amure le spinnaker ou le génois d'un voilier., à un nœud, nous empruntons l’étroit chenal qui sépare l’île d’Asinara de celle de Piana, avant de pénétrer dans le lagon géant que constitue le golfe d’Asinara. J’ai monté une mitraillette à la place de la traîne à bonites et quand je pense remonter notre mille et unième sac en plastique, je trouve un maquereau ! Il fait les délices de Cécile, qui en aurait mangé les arêtes. À part un encornet qui avait failli empoisonner Zoé, c’est notre premier poisson de Méditerranée, toutes techniques de pêche confondues (il faut être honnête, on ne s’est pas acharnés…) Nous poursuivons vers le nord, dans des conditions très agréables malgré la faiblesse du vent, longeant les bâtiments épars sur l’île d’Asinara, un pénitencier, un hôpital de quarantaine, un pénitencier, une caserne… Il est interdit de débarquer, bien sûr, mais d’après mes documents rien ne s’oppose au mouillage. Nous approchons d’une anse séduisante quand des gardiens en hors-bord viennent nous notifier que l’approche à moins d’un mille est interdite depuis la révolte des brigadistes emprisonnés là.

Déçus, nous poursuivons directement vers la France plutôt que de faire demi-tour, mais bientôt la météo annonce du fort mistral pour toutes les zones et nous nous replions sur le petit port de Stintino, sûrement bondé en cette saison, mais que voisine une jolie calanque abritée. Il fait nuit noire quand nous approchons, car la lune n’est pas encore levée, et nous n’y comprenons rien, les feux semblent avoir été changés de couleur et d’emplacement par rapport à la carte. En fait, la fameuse calanque a été entièrement transformée en marina, avec jetées, quais et corps-morts, mais c’est tout récent, d’où les nouveaux feux. D’où également la totalité des places disponibles : une aubaine, d’autant que le vent passera à force 9-10 les jours suivants, avec 6 à 9 mètres de creux annoncés.

Puis le vent tourne et baisse un peu : en route donc ! Cela commence bien, au portant et sur une mer plate tout le long du golfe, en revanche, à la sortie de l’abri, à la pointe nord d’Asinara, nous démarrons comme une flèche sous de lourdes rafales, avec des vagues énormes et abruptes qui catapultent le bateau avant de le laisser retomber dans des creux bien creux. À la suite d’une chute assez effrayante au fond d’un de ces trous, avec un choc qui fait vibrer tout le bateau, nous décidons de nous dérouter sur la Corse. La Méditerranée est imprévisible et deux heures plus tard, sous génoisgénois : la plus grande des voiles d'avant. tangonné et par mer belle, nous filons à nouveau vers notre destination première. Comme si cette mer voulait se faire pardonner tout ce qu’elle nous a fait endurer depuis le mois de novembre, ces conditions se prolongent presque vingt-quatre heures, agrémentées d’un festival de marsouins espiègles rivalisant d’acrobaties puis, à vingt mètres du bord, de baleines débonnaires plus longues que Chercha-Païs, d’un troupeau de globicéphales et enfin de bancs de thons pourchassant les poissons volants…

Nous atterrissons sur le phare de Porquerolles et, au jour, les îles d’Hyères sont en vue par le travers, avant que le brouillard et le crachin noient le paysage. Nous croisons une bonne centaine de voiliers et de vedettes agglutinés devant Bandol et, enfin, la marina du lieu accueille Chercha-Païs et son équipage : avec nos pavoispavois : prolongement de la coque, au-dessus du pont. enfoncés, notre peinture plus que défraîchie, les jerrycans dans les filières, la caisse du chat sur le pont et nos pare-battage en pneus, on nous regarde comme des cap-horniers...

(juin-juillet 1981)