Caraïbes, Morbihan et lagon calédonien

Après avoir ramené Chercha-Païs à La Rochelle, je pense avoir tourné la page maritime de mon existence, d’autant que la construction du bateau de Gilbert est mise en veilleuse. Si j’ai à nouveau une voile au-dessus de la tête, c’est par l’entremise du vol libre, qui concrétise l’un des plus vieux rêves de l’humanité, tandis que je garde intacte ma fringale de montagnes, tendance volcans. Les deux se combineront même en Indonésie, où Colette et moi survolerons d’impressionnants cratères en activité.


En parapente au-dessus du cratère du Bromo, à Bali (juillet 1994).

1 - Caraïbes

Malgré tout, quelques années plus tard, de façon indirecte, le parapente fait ressurgir mon passé de navigateur. Dans la bande, nous sommes deux convalescents interdits de vol, pour cause de cheville en compote en ce qui me concerne et de vertèbres fracturées du côté de Mike. Avec sa femme Dany, ce dernier lance alors l’idée d’une escapade en voilier aux Antilles, et ils n’ont pas de mal à me convaincre, car je me dis que c’est l’occasion d’aller explorer des recoins où je n’ai jamais risqué Chercha-Païs. La taille du voilier de location qui correspond à notre programme fait que deux places de plus sont disponibles, aussitôt convoitées par nos amis Philippe et Anne. Problème, ils n’ont pas assez de jours de vacances. Qu’à cela ne tienne :
-Si on se mariait ? On aurait droit à une semaine de plus !
(Soit dit en passant, toute la noce s’est retrouvée à l’hôpital à la suite d’une pollution de l’eau servie au restaurant !) L’équipage est soudé de longue date au fil de séjours vers les sites de vol libre d’un peu partout en France : nous savons à l’avance, par exemple, que Colette et Philippe feront assaut d’humour corrosif et que la bonne humeur générale fera oublier le côté "gueule de vent debout" de Mike.


Dany, Philippe, Anne et Colette à bord de Sarcelle.

Au départ de la Martinique -précisément de la marina de la Pointe du Bout, comme Chercha-Païs pour sa dernière traversée- la croisière me ramène à des mouillages maintes fois fréquentés, l’anse à l’Âne en baie de Fort-de-France -ville où Cécile a vu le jour-, Saint-Pierre, au pied de la Montagne Pelée et Saint-Louis, sur l’île de Marie-Galante. Agrémentés de la prise d’un beau thazar à la traîne, ce sont d’agréables préludes à la découverte des îles de la Petite Terre, au large de la Guadeloupe. C’est ma première nouveauté et en entrant dans la passe, je serre autant les fesses que si j’avais été à la barre de Chercha-Païs : bateau de location ou pas, le stress a la même intensité.


Le mouillage de Petite Terre, au loin, la pointe des Château en Guadeloupe.

Les brisants de la Baleine du Sud.

Délicieuse escale que ces terres désertes, dont nous goûtons tous les charmes, en plongée et à terre.


Retour de plongée sur la côte au ventvent (au) : du côté du vent, (sous le) vent : à l'opposé du vent. de Petite Terre

Les fonds de l’îlet à Pigeon.

J’enrichis ensuite ma collection de mouillages guadeloupéens avec une nuit devant Port-Louis et une escale de quelques heures à l’îlet à Fajou, dans le Grand Cul-de-Sac Marin, avant de retrouver la sérénité familière de l’anse de Deshaies, avec en prime deux bonites à préparer au barbecue. Nous enchaînons avec l’îlet à Pigeon, devenu réserve sous-marine, qui offre des plongées mémorables à ceux d’entre nous qui ne connaissent pas encore les eaux tropicales, puis une nuit à la Tortue du sud précède une traversée digne de ce nom vers les Saintes. Le passage dans le canal de l’archipel ravive les tourments de Philippe et Anne qui, malgré leur mal de mer chronique, vont garder le meilleur souvenir de la croisière.


Traversée vers les Saintes, Mike à la barre, Philippe comateux et Anne qui peine à faire bonne figure.

Les jeunes mariés récupèrent lors d’une journée terrestre à Bourg de Haut -où me reviennent des souvenirs de Lucifer et d’Henry Wakelam- avant de subir vingt-deux heures de houle du large devant la Dominique et de s’en guérir au calme de la discrète baie du Trésor, en Martinique. Avec cette escale le nez sur la plage, permise par notre carène de dériveur lesté, je découvre la côte au ventvent (au) : du côté du vent, (sous le) vent : à l'opposé du vent. de l’île, jamais vue auparavant et détaillée les jours suivants de l’îlet Madame, devant le Havre du Robert, à la bourgade du François et à l’îlet Thiery, à l’entrée du Cul-de-Sac Frégate. Sortis de l’abri de la barrière de corail par la passe du Vauclin, nous filons sous les grains avant de mouiller devant Sainte-Anne, étape d’où nous sortons le repas du soir, une daurade coryphène de belle taille. Cette croisière, qui aura décidément fait savourer tous les plaisirs des tropiques et de l’amitié sans complications, s’achève par une ultime plongée au rocher du Diamant, une halte à la grande anse d’Arlet et une dernière nuit à l’anse Mitan. (Plus que jamais dévoreurs de montagnes, Colette et moi avons mis à profit le voyage pour randonner ensuite sur tous les grands itinéraires de la Martinique, de la Montagne Pelée à la Trace des Jésuites.)


L’étrave sur le sable de la baie du Trésor.

D’avoir évoqué Saint-Anne me remet en mémoire la seule fois où j’y étais venu auparavant, à bord de Captain Cap, en compagnie de l’ami Éric, qui en était le skipper pour le Club Med. J’avais embarqué autour de la Martinique sur ce grand et vénérable ketchketch : voilier à deux mâts, le plus haut étant à l'avant., pas tant pour ses qualités nautiques que pour son histoire, car il avait été le second navire-laboratoire d’Alain Bombard. C’est triste à écrire, Captain Cap est alors proche de sa disparition, survenue lors d’un cyclone, en Guadeloupe. Un naufrage dont Éric a réchappé il ne sait comment, projeté à terre par les déferlantes, au-dessus de la route côtière !


Éric à la barre de Captain Cap.

2 - Morbihan

Alors que je n’aspire qu’à davantage de vol libre et de randonnées, le changement de vie radical que j’ai opéré continue d’interpeller. La question revient souvent :
-Tu as des regrets, forcément ?
Je ne peux nier de petits pincements au cœur, au sujet de la chasse sous-marine et de la pratique de l’aviron, notamment, mais en matière de navigation j’ai vraiment eu ma part du gâteau. Si quelque chose me tente encore, dis-je un jour à un couple de connaissances, c’est de jouer un peu les "écraseurs de crabes" au plus près du rivage. Tout heureux de combler cette lacune, ces gens que nous connaissons à peine me proposent de profiter de leur petit voilier pour folâtrer en Bretagne sud. Et nous voici, Colette et moi, en train de préparer un sympathique Brio de 6,60 m pour deux semaines au ras des cailloux. Le bateau est basé à Arzal sur la Vilaine, où nous faisons un long aller-retour, au portant puis au louvoyagelouvoyage : action de remonter le vent en tirant des bords (en zigzag)., pour bien l’avoir en main. Une première nuit à l’île Dumet, puis après de multiples escales à Hoedic et Houat, nous relâchons à La Trinité-sur-Mer, sur cette rivière de Crac’h que je parviens enfin à remonter à la voile après avoir tenté en vain, par deux fois, de le faire à la barre de Chercha-Païs.


Colette, sur Ar Pod.

Au mouillage à Hoedic.

C’est bien sûr pour retrouver Jean-Paul et sa famille, avec qui nous nous initions au cerf-volant pilotable, sa passion du moment.


Jean-Paul, Basile, Armelle et Colette à l’école du cerf-volant.

La croisière se poursuit avec une exploration détaillée du golfe du Morbihan et de ses îles, suivie d’un retour en mer vers la presqu’île de Quiberon et Port Haliguen. Là, en portant une amarre au ponton, Colette manque de passer à l’eau et, en faisant un mouvement réflexe, se rompt les ligaments de la cuisse. Fin de croisière dans des hurlements de douleur pour mon équipière, prise en charge par Jean-Paul et Catherine, et retour en solitaire en ce qui me concerne. Cet épilogue a pris le dessus sur les bons souvenirs, que nous n’aurons d’ailleurs guère le loisir d’évoquer car Colette va bientôt décider de mettre fin à notre vie commune, alors que rien ne le laissait présager...

Bien malgré moi, on l’a lu précédemment, mon passé de marin ressurgit les années suivantes au travers de divers convoyages, entrecoupés de croisières avec le Santoux de Gilbert. S’intercalent également des retrouvailles nautiques inattendues avec Claudie, tout juste vingt ans après que nous ayons fait équipe sur Chercha-Païs. Claudie a loué un petit Gibsea pour naviguer avec deux de ses enfants, Lauren et Roman, et elle souhaite que je l’assiste, ce qui est sans doute superflu. En tous cas, à bord de ce Fleur de Sel qui est un dériveur intégral, j’ai l’occasion de parfaire ma culture maritime. Au départ du Crouesty, nous traversons vers Er Yoch, sur l’île d’Houat, où j’ai la surprise de retrouver Gilles et Catherine, des amis auvergnats qui sont à bord de leur voilier, bel exemple de construction amateur d’une rigueur absolue, en accord avec le job de pilote de ligne de son skipper. Rencontre bienvenue car le vent se lève fort et avec son annexeannexe : petite embarcation pour assurer la liaison entre un voilier et la terre. au puissant moteur Gilles va récupérer les enfants à terre, ce que nous n’aurions pas réussi à faire nous-mêmes.


À Houat, le voilier de Gilles et Catherine.

Au programme ensuite, l’île aux Chevaux, arpentée au milieu des mouettes, et Port York sur Belle-Ile, un mouillage que nous avions découvert, Claudie et moi, à bord du Santoux de retour d’Irlande. Là, le mauvais temps nous impose de rester une journée calfeutrés à bord, l’occasion d’apprécier plus encore la manière dont cette famille fusionnelle me fait une place auprès d’elle. Fleur de Sel repart à travers une brume de crachin pour passer la Teignouse avant de remonter la rivière d’Auray à la voile jusqu’au bout, au cœur de la pittoresque cité de Saint-Goustan, où nous nous réconfortons d’un kouign-amann. Le vent souffle fort à l’appareillage du lendemain, sous voilure réduite. Dans les rafales, le bateau part en aulofées incontrôlables qui obligent à affaleraffaler : baisser une voile. la grand-voilegrand-voile : voile principale sur un voilier à mât unique ou plus grande voile porté par le plus grand mât sur un voiliers à mâts multiples., pourtant au deuxième risris : dispositif permettant de réduire la surface d'une voile..


Claudie, Lauren et Roman sur Fleur de Sel, dans la Teignouse.

Direction le golfe du Morbihan pour plusieurs mouillages et flâneries sur l’île d’Arz. Ressortis avec le jusant, nous sommes laissés sur place, au niveau de Port-Navalo, par Pen-Duick II, restauré comme à son neuvage.


Pen-Duick II.

Pas de honte à avoir. Le louvoyagelouvoyage : action de remonter le vent en tirant des bords (en zigzag). se poursuit vers La Trinité pour une remontée de la rivière de Crac’h au-delà du pont de Kérisper, mais aucun endroit ne nous inspire pour la nuit et Fleur de Sel revient au large avant de terminer cette belle journée de voile pure devant Beg-Rohu, sur la presqu’île de Quiberon. Au matin, le vent s’est renforcé, les grains diminuent la visibilité, mais il faut rendre le bateau et nous y allons, vent arrière, grand-voilegrand-voile : voile principale sur un voilier à mât unique ou plus grande voile porté par le plus grand mât sur un voiliers à mâts multiples. arisée, focfoc : voile d'avant triangulaire. tangonné et dérive relevée ; j’ai bien noté que le roulisroulis : oscillation latérale d'une coque. peut surprendre dans cette configuration et je me tiens sur le qui-vive au moment d’enlever le tangontangon : espar qui amure le spinnaker ou le génois d'un voilier.. Pas de chance, pendant les secondes fatidiques où j’ai besoin des deux mains pour l’esparespar : élément de gréement long et rigide (bôme, tangon, mât, etc.)., Claudie ne peut éviter un empannageempannage : virement de bord vent arrière.. Le violent coup de gîte qui s’ensuit me bouscule : c’est le tangontangon : espar qui amure le spinnaker ou le génois d'un voilier. ou moi ! Pour me retenir au bas-hauban, je le lâche, il passe à l’eau et coule. Dans mon apprentissage du dériveur intégral, je me serais bien passé d’une leçon aussi chèrement apprise...

Pour contrebalancer ce ratage, je ne résiste pas au plaisir de mentionner le plus beau compliment maritime que l’on m’ait fait :
-Nono, c’est la seule personne à qui je confierait le bateau en mon absence.
-Et moi alors ? proteste Dominique en tournant le plus noir des regards à Jean-Marc.


3 - Lagon calédonien

Nous sommes à Nouméa, Mado et moi, sur le grand Cipango que j’ai quitté huit ans auparavant en Guyane. En ce mois de juillet, antipodes obligent, Dominique est en pleine année scolaire, au contraire de Mado, ce qui exclut tout projet de croisière un peu ambitieux, notre voyage ayant avant tout pour but de découvrir à pied (qu’ils soient chaussés de pataugas ou de palmes) la Nouvelle-Calédonie et ses îles.


Cipango à Port Moselle, Nouméa.

Un gros mois durant, nous vivrons un extraordinaire séjour dans un pays d’une variété sans égale, où j’ai en prime l’occasion de voler au-dessus du lagon.


En vol au Ouen Toro sur fond de Pacifique.

Gennaker sur le lagon.

Jean-Marc et Dominique font le maximum pour nous faire partager leur amour pour ce coin de Pacifique. La première sortie est pour la baie Maa, dont nous parcourons les abords, en prélude à une joyeuse soirée et une nuit sereine.


Palétuvier au couchant à la baie Maa.

Au retour, escale sur le récif de Prony, isolé dans le lagon, que je découvre en plongée en compagnie de Mahé, avant que nous allions tous marcher sur son corail, à marée basse. Puis avant de quitter la Grande Terre pour randonner et plonger sur l’île des Pins et l’archipel des Loyauté, nous accompagnons à nouveau Jean-Marc, Dominique et Mahé dans une de leurs virées favorites, en baie de Prony, d’où nous montons jusqu’au belvédère du phare du cap Ndoua. Après avoir musardé quelques jours dans les recoins de Prony, un mouillage à l’île Ouen, sur la route du retour, nous offre une autre montée spectaculaire, sur des pentes couleur de feu, au point culminant du Nogoungoueto.


Travaux d’aiguille pour Dominique, comme toujours sur un voilier.

Fou de pêche au mouillage comme en mer, Mahé ponctue chacune de ces sorties de superbes prises, que ses parents préparent de savoureuse manière ou, à l’occasion, en grillades sur la plage.


Mahé aux prises avec une grosse carangue.

Je dois l’admettre, ces moments partagés m’ont laissé un arrière-goût de nostalgie...


« Le seul à qui je confierais le bateau... ».

(Sarcelle, novembre 1990. Ar Pod, juin 1995. Fleur de Sel, juin 2002. Cipango II, juillet 2004.)